Elles ont exploré et aménagé les tréfonds souterrains : nouveau regard sur les sociétés mésolithiques

Alignement de concrétions cassées © S. Jaillet
Aux côtés de l’art pariétal, les sociétés passées ont exploré et aménagé le milieu souterrain. L’étude des alignements de concrétions cassées de la grotte de Saint-Marcel (Ardèche), impliquant des scientifiques du laboratoire EDYTEM [1] et publiée dans Journal of Archaeological Method and Theory, indique que vers 8 000 ans des groupes humains ont cheminé de 1,5 à 2,5 km sous terre, franchi des obstacles verticaux et aquatiques pour déplacer plusieurs centaines de concrétions et les assembler en des structures dûment pensées. Si de tels marqueurs culturels ont déjà été identifiés dans les grottes de Bruniquel, La Garma ou Chauvet, ce qui retient ici l’attention c’est à la fois leur éloignement sous terre et leur âge à une période où on ne connaissait pas de tels gestes. C’est un regard nouveau sur la place du monde souterrain dans les sociétés récentes de la Préhistoire.

Les recherches croisant les regards des géomorphologues et des archéologues mettent de plus en plus souvent en évidence des traces laissées par des préhistoriques dans le paysage souterrain. Ces gestes, parfois minimes (déplacement de blocs, de crânes…), parfois importants (construction de structures à l’aide de blocs ou de concrétions, prélèvement de matière…), constituent des témoins majeurs de l’appropriation des espaces souterrains par les sociétés passées. Aux côtés de l’art pariétal, ces transformations du milieu souterrain parfois loin de l’entrée des grottes posent de nouveaux regards sur l’engagement des sociétés du passé à explorer et à marquer cet espace singulier aux confins de leur territoire usuel.

C’est dans cette perspective qu’a été menée l’étude des structures anthropiques récemment identifiées dans les réseaux profonds de la grotte de Saint Marcel. Cette cavité, déjà connue pour ses occupations préhistoriques de son porche d’entrée (Paléolithique moyen et supérieur puis Néolithique), n’avait pas été investie comme un objet archéologique à part entière. Les recherches géomorphologiques menées ces dernières années ont identifié, loin de l’entrée naturelle (entre 1,5 et 3 km), des secteurs avec une concentration importante de concrétions cassées dont un grand nombre est organisé sous forme de cercles ou d’alignements pouvant courir sur plusieurs dizaines de mètres.

La cartographie archéo-géomorphologique de ces secteurs a révélé que ces structures répondaient à une réelle volonté de structuration de l’espace souterrain, entre des zones d’approvisionnement en concrétions et des zones de constructions anthropiques composées de spéléothèmes. Dans les secteurs étudiés ce sont près de mille concrétions cassées qui ont été disposées au sol. Il restait à définir l’âge de ces aménagements qui pouvaient être aussi bien récents (mise en tourisme du XIXème siècle) qu’anciens au regard des occupations du porche.

Les datations se sont concentrées sur les repousses stalagmitiques qui scellaient les concrétions décapitées et sur celles couchées au sol. Les âges U/Th obtenus permettent d’attribuer la mise en place des structures aux alentours de 8 000 ans. Bien que moins anciennes que celles étudiées dans les grottes de Bruniquel ou Chauvet, elles changent radicalement les connaissances sur les incursions lointaines des sociétés mésolithiques dans les grottes. En effet, les structures anthropiques de la grotte de Saint Marcel se situent à plus d’1,5 km de l’entrée et nécessitent le franchissement d’obstacles aujourd’hui jugés difficiles (puits) et une maîtrise de l’éclairage sur du temps long, celui du cheminement jusqu’à la zone aménagée en plus de celui de la réalisation de ces importants aménagements.

Les résultats obtenus à la grotte de Saint Marcel invitent à porter un nouveau regard sur ces sociétés, véritables architectes du monde souterrain. Les aménagements réalisés pour faciliter leurs cheminements souterrains (marche, éventrement de bassins aquatiques…), les différents usages des grottes et les modifications des espaces souterrains profonds nous interrogent sur les dimensions symboliques associées. Les résultats acquis et les travaux en cours inscrivent le monde souterrain dans un contexte indiscutablement archéologique et anthropologique.

Figure 1 : Carte de la salle des Colonnes à 1,5 km de l’entrée de la grotte et ses trois grandes structures anthropiques de concrétions cassées et couchées au sol. Ces structures ont été réalisées autour de 8 000 ans © J.J. Delannoy
Figure 3 : Exemple de datations sur les carottages, réalisées sur des concrétions cassées avec des repousses stalagmitiques © E. Pons-Branchu

Références

Delannoy, J., Kemper, J., Jaillet, S., Pons-Branchu, E., Vandevelde, S., Dapoigny, A., et Dupuy, D. Investigating Human Activities in Caves Through the Study of Broken Stalagmite Structures : The Case of the Saint-Marcel Cave (France) During the Early Holocene. Journal Of Archaeological Method And Theory, publié le 10 avril 2024. DOI : 10.1007/s10816-024-09649-6

Contacts scientifiques locaux

 Jean-Jacques Delannoy, Enseignant Chercheur USMB à Environnements, Dynamiques et Territoires de Montagne (EDYTEM – CNRS/Univ. Savoie Mont Blanc)

Cet article a été publié par le CNRS-INEE.

[1Laboratoires CNRS impliqués :

  • Environnements, Dynamiques et Territoires de Montagne (EDYTEM – CNRS / Univ. Savoie Mont Blanc)
  • Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE – CNRS / CEA / Univ. Versailles St-Quentin)
  • Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique (LAMPEA – CNRS / Aix-Marseille Univ. / Ministère de la Culture)