Découverte des plus anciennes traces de millet dans le Caucase
La domestication et les voies de dispersion des plantes en Eurasie font l’objet de nombreux travaux et débats depuis plusieurs décennies, portant sur l’alimentation, mais aussi sur les mouvements de population, la diffusion des pratiques, des techniques et des symboles. Parmi les céréales que l’humain a domestiquées, deux millets – le millet commun (Panicum miliaceum) et le millet des oiseaux (Setaria italica) – sont parmi les plus tolérantes aux conditions de sécheresse, avec une croissance rapide, une haute teneur en protéines et faiblement allergéniques (exempte de gluten). Ces deux céréales ont été et sont encore destinées à l’alimentation humaine mais également animale dans différentes régions semi‐arides du monde.
Bien que les preuves les plus anciennes se trouvent en Asie, dans le nord de la Chine, vers 6500-6000 avant notre ère (av. n. è.), une possible domestication du millet dans le Caucase a souvent été proposée. Pour vérifier cette hypothèse, un programme de recherche multi-paramètres* a été mis en place afin de tracer l’origine du millet dans le Caucase, une région clé à l’interface de l’Asie et de l’Europe. Plus largement, ces nouveaux résultats ont permis de revoir la chronologie et l’émergence de ces deux céréales à travers l’Eurasie.
D’un point de vue méthodologique, ce projet a utilisé plusieurs approches.
- La première reposait sur un examen critique des occurrences de millet archéologique dans le Caucase, jusqu’à l’Antiquité. En effet, alors que dans la littérature, de nombreux restes de millet étaient supposés dater du Néolithique (env. 6500-5000 av. n. è.), leur ré-examen a montré que ces restes anciens provenaient de contextes parfois confus et que leur identification comme millet cultivé était douteuse. Par ailleurs, les plus anciens se sont révélés souvent introuvables, n’autorisant aucune vérification.
- La seconde approche a consisté à sélectionner des grains de millet provenant de contextes archéologiques datés entre le Néolithique et le 1er siècle av. n-è. afin de les dater directement au radiocarbone. Les résultats ont montré que ces deux céréales étaient cultivées dès l’âge du Bronze moyen, vers 2000-1800 av. n.è., en particulier Setaria italica qui est le millet le plus ancien trouvé en Géorgie. Ainsi dans le Caucase, tous les grains de millet carbonisés, issus de contextes présumés antérieurs au Bronze moyen, et datés dans le cadre de ce projet, sont tous plus récents. Des études similaires menées en Europe ont abouti aux mêmes conclusions : ils datent de l’âge du Bronze. Ces résultats confirment que le matériel végétal archéologique, en particulier les restes botaniques de « petite taille » comme le millet (≈ 1 mm), peuvent être intrusifs et que seule une datation directe au radiocarbone est nécessaire pour déterminer leur chronologie.
- Enfin, cette étude multi-proxy comprenait la mesure des isotopes stables du carbone (δ13C) et de l’azote (δ15N) d’os humains et animaux. Contrairement aux autres plantes cultivées dans les mêmes régions, Panicum et Setaria sont toutes deux des plantes en C4 (fixation du carbone lors de la photosynthèse) qui ont des valeurs de δ13C nettement plus élevées que celles des plantes en C3. Ces différences sont conséquemment mesurables dans le collagène osseux des consommateurs, humains et animaux, permettant aisément d’identifier la consommation de ces deux céréales. Les résultats des analyses isotopiques s’accordent avec les plus anciennes dates 14C obtenues sur les grains de millet et affichent des valeurs isotopiques caractéristiques de la consommation de millet par les animaux et les humains (valeur de δ13C supérieures à 17 ‰) à partir du Bronze moyen.
En combinant des analyses archéobotaniques et celles des isotopes stables, et avec l’appui d’un ensemble de dates radiocarbones, les scientifiques ont pu reconsidérer le cadre chronologique et apporter de nouveaux éléments sur l’apparition et la diffusion du millet. Les résultats obtenus montrent que Setaria et Panicum n’étaient pas présents dans le Caucase au Néolithique. Sur la base des données existantes en Eurasie, la diffusion du millet depuis la Chine jusqu’au Caucase s’est faite par le sud, en suivant les montagnes du Pamir, de l’Hindu Kush et du Zagros, plutôt que par le nord, c’est-à-dire via la steppe eurasienne. Quant au millet des oiseaux, les résultats montrent qu’une possible domestication dans le Caucase n’est pas à exclure. En effet, ce dernier apparaît dès 2000 cal. BC à l’ouest du Caucase mais beaucoup plus tard (vers 1500-1000 av. n-è.) ailleurs dans la région. Et, puisque des ancêtres sauvages existent dans le Caucase, il est possible que Setaria italica ait été localement domestiqué à la fin de l’âge du Bronze moyen.
* Programme ANR JCJC (ANR12-JSH3-0003-01) « ORIMIL. La culture du millet dans le Caucase pré- et protohistorique : Origine et développement », 2013-2016, Coordinatrice : Estelle Herrscher.
Référence
Martin L, Messager E, Bedianashvili G, Rusishvili N, Lebedeva E, Longford C, et al. The place of millet in food globalization during Late Prehistory as evidenced by new bioarchaeological data from the Caucasus. Sci Rep. 2021 ;11(1):13124. Epub 2021/06/25.
Contacts scientifiques locaux
► Lucie Martin, EDYTEM / OSUG
► Erwan Messager, EDYTEM / OSUG
Article initialement publié par l’INEE CNRS.